A l’occasion des 50 ans de présence de l’UCLouvain à Bruxelles, Arte-Fac et l’UCLouvain ont invité l’artiste Isabelle Jonniaux à concevoir une Echappée urbaine (une balade sonore et poétique audio-guidée) sur le site de l’UCLouvain Bruxelles Woluwe. Arte-Fac est allé à sa rencontre pour en apprendre plus sur sa démarche artistique.
Comment vous est venue l’idée de l’Echappée urbaine ?
Il est important pour moi de se connecter à notre monde extérieur et de l’interroger. L’Echappée urbaine a ainsi pour but, d’une part, d’interroger et de dialoguer avec l’espace public ; il est utilisé comme source et matière à réfléchir le monde. D’autre part, l’Echappée emmène le public dans une expérience sensible, réflexive et ludique. C’est une expérience qui cherche à faire sortir les publics en dehors des espaces culturels dédiés, dans une visée plus démocratique. Tout le monde a en effet accès à l’espace public et peut faire cette balade gratuitement.
L’humour fait partie intégrante de vos échappées. Quelle importance accordez-vous à cet aspect-là ?
L’humour représente une alternative possible à des choses pas toujours joyeuses que je voyais dans l’espace public. Il permet de détourner le réel et d’aborder des sujets parfois sensibles avec une certaine distance. Au-delà de la dimension ludique, j’aime qu’il y ait une pensée qui se développe derrière. Lorsqu’on finit la balade, les personnes partent avec des questionnements et des réflexions auxquels je n’apporte pas de réponses. J’aime l’idée que les questions soulevées continuent leur chemin après l’expérience.
Une des spécificités de l’échappée est que vous la créez toujours in situ. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre processus de création ?
J’investis un lieu et j’écris toujours à partir de ce lieu-là. Une Echappée urbaine n’est pas l’autre. Je me donne un temps au cours duquel c’est le lieu qui se révèle à moi. Je vois ce qu’il me raconte et à partir de là, je tire des fils rouges et des questionnements. Je viens sans idées préconçues, avec une grande curiosité. Je m’intéresse à tout.
Pour l’Echappée urbaine #3, je me suis intéressée à des sujets propres à l’université, l’architecture, la vie estudiantine, les facultés ou encore les recherches et découvertes qui s’y font. Par la suite, je sélectionne, je développe, je fictionnalise, et au final, j’assume un regard très subjectif, c’est-à-dire que j’apporte, dans l’écriture, ma réflexion, ma pensée et mes interrogations par rapport au lieu et aux récits qui peuvent en émerger.
Vous avez passé de nombreuses heures à arpenter le campus de l’UCLouvain Bruxelles Woluwe afin de concevoir votre Échappée urbaine #3. Comment votre vision du site a-t-elle évoluée au fur et à mesure de vos découvertes ?
Je n’étais jamais vraiment venue avant sur le site de Woluwe, comme beaucoup de monde je pense. Je suis passée par plusieurs phases.
Il y a d’abord eu la phase de découverte. Je fais toujours attention à mes premières impressions car elles racontent souvent quelque chose de l’ordre de l’inattendu, le singulier, le jamais vu, le dérangeant… Au début, je trouvais ce site peu attractif avec un côté peu vieillissant, hétéroclite, fait de briques et de bois. Les bâtiments sont protégés donc on ne peut pas les réparer comme on veut.
Puis, en me renseignant sur ce lieu, ces premières impressions généralement évoluent. Pour le site de Woluwe, j’ai par exemple commencé à creuser la démarche de Simone et Lucien Kroll. Je me suis rendue compte qu’iels étaient des pionniers en termes d’architecture participative, notamment dans le fait d’impliquer les utilisateur.rices des espaces publics dans les décisions, puisqu’iels s’y sont intéressé·es dès les années ‘70. J’ai aussi trouvé des passages, des recoins peu utilisés et qui m’ont ouvert un imaginaire en lien avec la science et le cerveau.
En fait, j’aime bien aller dans des lieux qui, a priori, ne contiennent pas de beauté ou de poésie évidentes. Ma démarche artistique consiste justement à déplacer le regard, sublimer ce réel, essayer de faire en sorte que les gens vivent une expérience poétique, drôle et décalée et qu’ils en sortent inspirés. Ce qui représente un plus gros défi que de leur faire visiter un lieu qui est déjà beau en soi.
L’Échappée raconte ce changement, cette prise d’intérêt pour un lieu en même temps que je le découvre. Les choses deviennent intéressantes quand on s’y intéresse et quand on les approfondit. Mais ce processus prend du temps.
Est-ce qu’il y a un lieu en particulier sur le campus que vous avez aimé découvrir ?
C’est un espace en “L” entre les bâtiments des facultés. C’est ce que j’ai appelé “la faculté d’imagination”. Les gens sont invités à faire une petite expérience dans cet espace-là. C’est un lieu où personne ne va, avec des hautes herbes, un peu désaffecté. Ce sont des lieux comme celui-là qui m’inspirent énormément car ils ne sont pas encore attribués à quelque chose. Ils sont porteurs d’imagination, on peut encore inventer quelque chose, inscrire une fiction totalement inattendue. Mais il faudra faire la balade pour le découvrir.
Vous avez réalisé l’Échappée urbaine #3 avec l’aide de Simon Thomas pour l’écriture et Loïc Le Foll pour la dimension sonore. Comment se passe la collaboration ?
Je collabore dès le départ avec Simon Thomas et Loïc Le Foll. On explore ensemble le lieu de l’échappée. On se partage toutes les idées qu’on a, tant vis-à-vis de l’écriture textuelle que vis-à-vis des jeux et de l’écriture sonore. Toutes ces dimensions sont très imbriquées. Chacun d’entre nous partage ce qu’il a ressenti, ses envies. On avance tous les trois main dans la main.
Le son fait partie dès le départ de l’écriture étant donné que l’échappée est une expérience sonore et déambulatoire. Je dis parfois que je fais de la “réalité augmentée” car il y a le réel qu’on voit et puis il y a tout ce qui est de l’ordre de l’écriture narrative et sonore qui vient s’ajouter en surcouche de ce que les gens voient.
Un dernier mot pour toutes personnes intéressées par l’Échappée urbaine #3 ?
Faire l’Echappée, c’est s’offrir du temps pour soi, un temps à soi, à travers une écoute immersive et solitaire de ce qui nous entoure. Ça nous permet de voir, entendre, écouter différemment le monde qui nous entoure. Ça met en mouvement la pensée, le corps et les sens. Le sociologue David Le Breton écrit que la marche est un acte de résistance. À la vitesse, à la productivité, au rendement. Marcher ne consiste pas à gagner du temps, mais à le perdre avec élégance; elle ne mène à rien sinon à soi-même.
Envie de vivre l’Échappée urbaine #3 ?
Munissez-vous de votre smartphone et de vos écouteurs et rejoignez l’un des deux points d’accueil pour emprunter un coffret indispensable à l’expérience :
- En semaine, de 9h à 16h : Accueil au Service d’Aide aux Étudiants de l’UCLouvain – Bâtiment La Mairie – Promenade de l’Alma 31 – 1200 Woluwe-Saint-Lambert
- Le week-end, de 10h30 à 18h30 : Au restaurant Le Cercle de la Vecquée – Place de la Vecquée 9 – 1200 Woluwe-Saint-Lambert
Une expérience à découvrir à partir de 15 ans.